Pourquoi les prix de l’électricité ont-ils explosés l’été 2022 ? Quels sont les enjeux et les conséquences de la réforme du marché européen ? Contexte et explications.
Une hausse des prix de l’électricité qui atteint des records
Contrairement à ce que l’on peut penser, la hausse des prix de l’électricité à terme a débuté en réalité avant même l’invasion de l’Ukraine, et ce dès la fin de l’année 2021. Conséquence de la reprise économique mondiale post-Covid, conjuguée à une surestimation du risque réel des capacités d’approvisionnement, la hausse des prix a atteint des records à l’été 2022.
En effet, au cours de l’été 2022, l’anticipation d’un manque de capacité nucléaire (due aux maintenances du parc nucléaire), couplée à une peur de pénurie de gaz ainsi qu’à des sécheresses impactantes pour les capacités hydroélectriques, ont déclenché une flambée des prix de l’électricité.
Selon RTE, « les prix à terme observés à l’été 2022 pour l’hiver 2022 2023 ont révélé une prime de risque […] démesurée au regard des risques réels de tension […], même dans les scénarios les plus défavorables. Cette prime de risque s’est effondrée à la fin de l’année du fait de la
réduction des incertitudes sur la sécurité d’approvisionnement ».
Par conséquent, ces prix élevés de l’électricité achetée pendant l’été pour l’hiver ont causé une hausse considérable des prix, et cela, malgré les tensions d’approvisionnement réelles finalement relativement faibles. L’hiver a été assez doux, les stocks de gaz ont été au-dessus de la moyenne et nous avons bénéficié d’une disponibilité hydroélectrique plutôt correcte.
Au bout du compte, ce sont les consommateurs qui ont payé pour cette spéculation.
Face à cette l’explosion des prix de l’énergie, la Commission européenne a présenté une réforme du marché de l’électricité le 14 mars 2023. Elle répond à une demande de plusieurs Etats membres de l’UE dont la France, pour rendre les prix de l’électricité moins instables et moins dépendants de ceux du gaz.
Un marché européen tourné vers la transition énergétique
Depuis plus de vingt ans, l’UE vise à développer et à unifier les échanges d’énergie pour renforcer la sécurité d’approvisionnement tout en garantissant une transparence dans la fixation des prix via l’interconnexion des réseaux de 35 pays.
Ce marché interconnecté a pour objectif d’uniformiser les prix de l’électricité sur le réseau, en mettant en concurrence les centrales de production d’électricité sans tenir compte de leurs lieux de production – dans la limite des capacités physiques des interconnexions, soit environ 13GW entre la France et ses voisins.
L’interconnexion permet de stabiliser le réseau à plus grande échelle et l’intégration des énergies moins carbonées dans le mix européen en temps réel (parfois il n’y a pas de vent pour l’éolien allemand, et plus de soleil pour le photovoltaïque espagnol). Le marché est donc la solution adoptée par l’UE, dans l’optique de :
– « fluidifier » les échanges d’électricité aux frontières des pays interconnectés pour pallier aux différents pics de consommation et de production,
– permettre le développement des énergies moins carbonées via la concurrence,
– faciliter le transport de ces énergies au sein des différents pays.
En juillet 2021 a été lancé le plan d’actions « Green Deal » par la présidente de la Commission. Celui-ci vise à réduire les émissions de carbone d’au moins 55% d’ici à 2030.
Quelques chiffres
- En 2022, 39,4 % de l’électricité européenne était produite à partir de sources d’énergie renouvelables, 38,7 % à partir de combustibles fossiles et 21,9 % à partir d’énergie nucléaire.
- La France est interconnectée avec 6 pays : la Grande-Bretagne, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suisse.
- En 2022, la France est devenue importatrice nette d’électricité pour la première fois depuis 40 ans avec 40.5 TWh exportés et 57 TWh importés.
Une réforme du marché de l’électricité très attendue en statu quo
La réforme du marché de l’électricité, présentée par la Commission européenne le 14 mars 2023 a un triple objectif. Elle vise à renforcer la compétitivité de l’industrie européenne en assurant plus de stabilité des prix de l’électricité, à accélérer l’essor des énergies renouvelables pour diminuer la consommation de gaz ainsi qu’à mieux protéger les consommateurs finaux.
Parmi les propositions du Parlement européen, plusieurs sont consensuelles comme la suppression du plafonnement des revenus des producteurs d’électricité d’origine renouvelable et nucléaire et le développement des contrats long terme de gré à gré (PPA). Ces contrats permettent de garantir un revenu fixe à long terme pour les producteurs, ce qui favoriserait les investissements, ainsi qu’une visibilité sur les prix de l’électricité pour les consommateurs.
Même si cet aspect fait consensus au sein du Parlement, cette mesure soulève des inégalités auprès des consommateurs puisqu’elle pourrait défavoriser les plus petits acteurs. En effet, selon Anne Debrégeas, ingénieure de Recherche chez EDF, les fournisseurs et les entreprises qui auront « bien » négocié auront accès à la production la moins chère, tandis que ceux qui n’auront pas une grosse force de négociation payeront pour l’électricité la plus chère.
Le dernier aspect met l’accent sur les marchés à long terme et la refonte de la boîte à outils de subventions énergétiques à disposition des États membres.
Les eurodéputés ont rejeté les propositions visant à rendre obligatoires les contrats d’écart compensatoire (Contracts for Difference, CfD) chaque fois que les gouvernements interviennent sur le marché pour soutenir les investissements dans la production d’électricité.
Cette proposition fait débat car elle exclut les centrales nucléaires existantes des contrats pour différence (CFD), grâce auxquels l’Etat garantit un prix fixe aux producteurs d’électricité.
Cette mesure est retoquée par la France qui souhaite conserver le bénéfice des centrales nucléaires amorties dans ses prix de l’électricité, tout comme la Pologne qui réclame une extension à ses centrales au charbon.
Selon la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, l’absence d’un tel mécanisme pourrait entraîner « des difficultés importantes en matière de sécurité d’approvisionnement comme de capacité à tenir nos objectifs climatiques ». De plus, cela permettrait de prendre le relais du mécanisme qui régule l’accès au nucléaire historique (Arenh), arrivant à échéance fin 2025. Le sujet devient pressant car dès début 2024, les industriels commenceront à couvrir leurs besoins en électricité, deux ans en avance, d’où la nécessité de leur fournir de la visibilité ainsi qu’aux fournisseurs d’électricité.
L’Allemagne, quant à elle, y voit une « distorsion de marché » et craint un frein à l’essor des énergies renouvelables.
A ce jour, les discussions se poursuivent et les 27 ministres en charge de la thématique énergétique se réuniront de nouveau mi-octobre en conseil pour continuer les négociations.
Mises à jour de cet article à venir.
Sources
RTE, communiqué de presse, bilan 2022 2023, 16/02/2023
Échanges : le système électrique, un sujet à dimension européenne, RTE